KARINA BISCH

Les peintures

Les peintures de Karina Bisch ont pour objet de représentation des façades et des constructions, le plus couramment, des années 1920-30 ou encore des années 1950 à nos jours. À première vue, la typologie des référents s'avère donc en premier lieu extrêmement réduite.

La série est d'ailleurs un des systèmes récurrents dans son travail : City, Dark City … Elle a, par exemple, réalisé deux ensembles représentant différentes techniques d'assemblages de briques Bricksworks #1 et #2. Un important effet optique singularise chaque tableau dont la juxtaposition dans l'accrochage d'ensemble annule pourtant toute perturbation visuelle.
Pourtant à l'examen de l'œuvre dans sa globalité, il ne paraît pas tendre vers une meilleure perception du monde.
En effet, les qualités picturales des tableaux se caractérisent par une accumulation de couches à la surface de la toile. Loin de réductions, ils sont davantage le résultat d'augmentations qui ont pour conséquence une hypertrophie de signes. Aussi, la production augmentant, chaque œuvre contredit tout principe d'inventaire clair.

À nommer rapidement les premiers tableaux qui nous viennent à l'esprit, on se rend compte que le corpus réalisé n'est pas si homogène. Certains tableaux dépeignent des objets modernistes authentifiés - Adolf Loos, Malévitch, van Doesburg ou Vasarely - alors que d'autres se consacrent d'avantage à des architectures plus récentes et sans caractère - Sans titre 01.10 et 01.21. La coupure de la seconde guerre mondiale et l'évolution de l'architecture seraient des explications évidentes à cette ellipse temporelle. Dans cette perspective, les bâtiments localisés plus contemporains - rue Zadkine (02.17), Sony/Tokyo (02.26) - se feraient l'écho de l'évolution des modèles architecturaux récents. Mais la prison de Disneyland tout comme une église byzantine ou une façade à colombages sont autant de tableaux qui paraissent sans références évidentes, sans parler des motifs qui échappent à toute lisibilité, Sans titre 00.19 qui n'est rien d'autre qu'une maison typique de San Francisco à bossages, peut-être réticulés, sur toute la façade peinte en rose.

Les préparations épaisses, ou en motifs tramés, parfois aux craquements accélérés; les épaisses couches de couleurs; les grilles, les rayures; les ponctuations; les épaisseurs organisées ou informes, ajourées... sont autant de procédures complexes lisibles et ou confondues. Même dans Sans titre (99.6) où le motif est simplifié à une série de stries de couleur pourtant numérotées, le spectateur aurait bien dû mal à s'en faire l'archéologue. Ce phénomène visuel d'hypertrophie paradoxale semble au cœur du travail de Karina Bisch.

Les référents modernistes et leur retranscription épaisse voire informe se contredisent. En effet, dans Sans titre (98.3), la peinture semble littéralement couler à la surface de la façade. La matière envahissante pourrait même suivre une trajectoire précise (dans le sens de la lecture) contredisant toute logique de pesanteur. Les carrés noirs, qui composent la grille régulière des ouvertures, ont leurs bords rongés par la peinture.
Cette dualité récurrente évoque et déjoue par là même l'héritage artistique d'une "critique féminine" du minimalisme. Dans cette perspective, l'injection d'épaisseur dans la grille serait peut-être un écho aux stratégies alternatives à un minimalisme considéré "rigide". Sony/Tokyo (2.26) devient un contenant, dont les étages sont autant de renforts, à un magma de " drippings " bouillonnants.
Mais ces attaques font encore partie de ce modernisme finissant auquel Karina Bisch se réfère habituellement. Cette filiation est toute naturelle en ce qu'elle est incluse dans la référence ouverte aux modernismes qui constituent par principe le postulat de sa production.

Comme nous l'avons dit précédemment les peintures recèlent de nombreux motifs qui confèrent à l'ornement. Le fond doré de manière ostentatoire de Sans titre (01.09) fait des arcs en ogives non plus une structure porteuse d'un édifice religieux mais un compartimentage médiéval d'un coffre qui serait rehaussé de gemmes.
Si la riche matière picturale, voire sa surcharge, ne nous fait pas déjà perdre de vue l'architecture qui est dépeinte, faisons abstraction pour un temps des objets décrits. Au regard du traitement pictural, le décoratif, comme nous l'avons vu précédemment, est inscrit à la surface de la toile.
Or le décoratif est une notion historique déterminante dans la construction des projets modernistes. Déjà au moment du mouvement Art & Craft, William Morris substitue aux "arts majeurs" les arts appliqués. L'artisanat même signé avait pour mission de résister à une vulgarisation de la culture par l'industrie.
Héritier des débats du Werkbund et de leurs nombreuses tentatives d'articuler art, artisanat et industrie, le Bauhaus sera le lieu de nombreux conflits pédagogiques et artistiques. Le constructivisme et De Stijl seront également le moment où des méthodes de travail se trouveront conjointement développées dans le mobilier, le textile, la photographie, le graphisme, le photomontage …
Au-delà des conflits au sujet des règles néo-plasticistes, la relation peinture et décoratif est peut-être une des raisons de l'opposition entre Théo van Doesburg et Mondrian (cf. la vue d'exposition à Paris Project Room avec Kristina Solomoukha). Le décoratif se serait avéré être une menace pour le grand art, alors fondé sur le principe de l'autonomie.

Avec les surcharges de matière et les craquements artificiels comme autant d'effets, les œuvres de Karina Bisch portent en elle le signe même de la peinture.
Certes l'affirmation de son statut de représentation par la peinture a été une opération décisive de la modernité picturale au XIXème siècle dans l'abandon du primat mimétique.
Mais l'affirmation du principe d'autonomie (l'abstraction), ajoutée à cela, a poussé la peinture dans une destinée fatale. Le devenir signe de la peinture est devenue son sort immanquable. La réification, son corollaire, a obstrué toute lecture évidente de la peinture abstraite en tant qu'intention et programme.
Or l'architecture, elle aussi, a subi un dévoiement sous la forme d'un double mouvement : à mesure qu'elle est devenue le signe d'elle-même (Sans titre, 01.02, cf. R. Venturi), elle est devenue de moins en moins signifiante. Devenant style, elle perdait toute lisibilité.
Ainsi peinture et architecture, et leur sort partagé se trouvent naturellement associés. L'hypertrophie établit une analogie entre ces deux disciplines. Elle renvoie à la difficulté de lisibilité d'un projet architectural ou d'un programme pictural.


For Memory

For Memory est un ensemble de plaques de plâtre moulées comportant à la surface une image, résultat de transferts d'illustrations de livres d'histoire de l'art et d'architecture de la période moderne. Ils pourraient apparaître comme la bibliographie et la définition chronologique des peintures de Karina Bisch. Ces images pourraient être les clefs de la méthode pictural que l'artiste nous concéderait sporadiquement.
On pourrait aussi bien sûr aisément spéculer sur les dichotomies volume - image, ou architecture - signe ou encore sculpture - peinture mais ces séries de " tablettes " révèlent la richesse et la complexité de l'œuvre de Karina Bisch.

Si l'histoire de l'art moderne est marquée par une incessante succession de ruptures souvent revendiquées, les For Memory sont autant d'affirmations par l'artiste d'un héritage symbolique, artistique et culturel : Le Corbusier, Bauhaus, Malevitch, comme autant de désirs manifestés de redéfinition radicale de l'art en une réunion forcée.

Ces objets lisses, à la blancheur passée et douce, porteurs d'images fragiles confèrent l'œuvre au fétiche.
Présentés parfois sous des tables vitrines, nous sommes en présence d'une succession d'images sans rapports directs. La dimension fragmentaire de la série devient alors évidente.
Dans sa critique du musée, Quatremère de Quincy définit la fragmentation comme l'une des conséquences incontournables de la " muséalisation " : " quelqu'un peut-il mieux proclamer l'inutilité de l 'œuvre d'art qu'en annonçant par leur assemblage la nullité de leur dessein." .
Dans sa Lettre à Armanda, Quatremère condamne la confiscation à Rome des œuvres antiques. Pour lui, s'il ne s'oppose pas absolument au musée, rien ne vaut d'altérer la ville - musée, Rome espace public et collectif.
Les sujets des For Memory sont d'ailleurs souvent des productions dans un contexte précis (celles de Malévitch dans l'exposition 0,10, la dernière exposition futuriste de 1915), ou des architectures (le bâtiment conçu par Behrens pour le Bauhaus), et des indices de leur usage contemporain (le restaurant de la Cité Radieuse de Le Corbusier à Marseille…).
Ainsi la forme des For Memory évoque l'objet de " fétichisation muséalisée " et les illustrations désignent le patrimoine collectif ou des présentations historiques des œuvres peut-être à jamais perdu.

Dans sa dimension fragmentaire, c'est-à-dire à la fois retirée et isolée du monde et peut-être matériellement altérée, l'œuvre de musée a pour corollaire la nostalgie. Dans sa tentative de réactualiser le paradigme allégorique, Owens , citant Benjamin, indique que les images incomplètes apparaissent comme des ruines à déchiffrer. Or ces ruines représenteraient un rapport spécifique à l'histoire : " Les œuvres de l'homme s'y trouvent résorbées dans le paysage, et les ruines représentent l'histoire comme un processus irréversible de dissolution et de déchéance, un éloignement progressif de l'origine (…) "
Les For Memory matérialisent des rapports particuliers aux œuvres du passé, différentes relations à l'histoire dont les symptômes sont la " fétichisation " et la fragmentation liées toutes deux aux processus de " muséalisation ".
Ces plaques sont autant de phénomènes de la nostalgie qui singularise la modernité. Bien qu'elles soient des séries d'images sans relation, nous en faisons les illustrations d'une hypothétique modernité monolithique indistincte. Or il s'agit bien désormais de comprendre ce qui fait les particularités de chacun des projets constitués de discours, de tentatives, de projets et de conflits spécifiques.

À cette définition simplifiée appartenant à l'imaginaire collectif, Karina Bisch a opéré des choix dans le flot des illustrations de cette première moitié du XXème siècle. Ils articulent donc bien culture individuelle et collective.


Les sculptures

A l'image des For Memory, les volumes élémentaires et l'usage du plâtre pourrait facilement nous entraîner dans une exégèse dont les termes seraient à nouveau la peinture, l'architecture moderniste et les relations qu'ils entretiennent.

Dans l'exposition In the flat field I get bored à Glassbox en 2001, Archisuper est un ensemble de volumes rectangulaires verticales, horizontales et cubiques sur des socles homothétiques. Pour Hard & Craft en 2002 au 9 bis à Saint Etienne, elle a présenté une sculpture, une mise en volume en trois dimensions d'une croix (tesseract).
Ces volumes élémentaires étaient alors recouverts de plâtre. Dans le premier cas, ils contrastaient avec leur socle en bois de synthèse recomposé (médium). Nous avions alors trois signes qui se juxtaposaient. Les sculptures s'apparentaient à des maquettes d'architecture aux formes extrêmement simplifiées. Mais le plâtre devenait le représentant de la peinture superposé à des socles, paramètres élémentaires et constitutifs de la sculpture. Le tesseract du 9 bis est une forme élémentaire que l'on retrouve dans les recherches de Théo van Doesburg. Etrangement, il évoquait une sculpture publique générique dont on aurait oublié l'auteur, que l'on imaginerait volontiers au milieu d'un " grand ensemble " dans un contexte urbain moderne.
Dans les deux expositions, la sculpture se révélait dans ses aspects hybrides, réduits, standard et anonymes.
Tesseract est emprunté aux recherches élémentaires sans marques particulières qui pourraient nous permettre de reconnaître la main de l'auteur de l'Aubette de Strasbourg. Il désigne également la dimension élémentaire caractéristique des exercices de cette époque fonctionnaliste. Que l'on pense à caricature d'une commande publique, d'une intervention au décoratif absurde pour un rond-point - ou à un " chef d'œuvre " de compagnonnage ; en une même pièce sont renvoyés l'un à l'autre l'anonymat fonctionnaliste oublié et le modernisme contemporain devenu style, académique ou kitsch, voire pompier (au sens historique). Cette œuvre est à la fois une appropriation d'un exemple historique de l'affirmation esthétique de l'anonymat et une allusion au style " modernisant " qui perdure et ne cesse d'être réactivé.

fonctionnalisme élémentaire - décoratif
anonymat - style

Cette liste sommaire ferait état des conflits, écueils et paradoxes qui caractérisent les recherches modernistes. Ces termes énoncés font alors obstacle à toute simplification nostalgique et caricaturale de " la modernité " énoncée précédemment au sujet des For Memory.

Ces deux propositions semblent donc évoquer à nouveau l'œuvre de musée et patrimoine collectif anonyme. Ce clivage nous ramène bien sûr à nouveau aux conflits suscités par la création des musées (Quatremère de Quincy), mais aussi à la difficulté des projets modernistes de transformer la société et en tout cas de ne pas être aliéné à une implacable économie dont le principe de rentabilité ne favorise guère le souci du progrès humain.
Enfin la dimension standard de ces sculptures sont autant d'échos aux interstices et manques qui caractérisent tout musée, toute collection de " chefs d'œuvre ", tout " discours officiel historique " positiviste s'appuyant sur des réalisations majeures pour affirmer sa stabilité pleine de certitude.


L'œuvre de Karina Bisch a de notoire qu'elle ne cherche aucunement à rompre avec les schémas modernistes en développant une troisième voie allégorique comme dépassement de la soi-disante dualité abstraction - figuration.
Il ne s'agit pas non plus de cultiver une mélancolie fondée sur le principe d'une origine perdue.
Elle tente d'avantage d'observer les modalités de constitution des formes, examinées dans un contexte social, culturel et historique donné, qu'il soit passé ou présent. Chaque œuvre opère un croisement entre présent et passé. De cette manière, " le signe " redevient une forme où réapparaît des discours singuliers permettant de réactualiser notre regard tourné vers le passé ou cherchant à se poser dans le présent. Autant d'issues à une pose dystopique souvent cynique ou désœuvrée parfois enclin à un héroïsme pervers, à une posture " post-moderne ", ou encore à une nostalgie matinée de références contemporaines.


Julien Fronsacq

Julien Fronsacq est commissaire d'expositions indépendant et vit à Paris.

Elodie Vitale, " Le Werkbund et le fonctionnalisme ", pp. 18-22, Le Bauhaus de Weimar 1919-1925, édition Pierre Mardaga, 1989, Bruxelles. Daniel J. Sherman " Quatremère de Quincy / Benjamin / Marx ", pp. 123 - 143, in Museum Culture, Histories Discourses, Spectacles, Daniel J. Sherman et Irit Rogoff éditeurs, Routledge, Londres, 1994 - 2001. Craig Owens " L'impulsion allégorique, vers une théorie du postmodernisme " in October, n°12, printemps 1980, pp. 67-86 et n° 13, été 1980, pp. 59-80, Cambridge, Massachusetts. Vous trouverez une version résumée et traduite en français par Christian Bonnay in Art & Theorie 1900-1990, une anthologie, par Charles Harrisson et Paul Wood in Hazan, 1997. Art & Théorie 1900-1990, une anthologie, page 1148.


  KARINA BISCH

The Paintings

Karina Bisch's paintings represent facades and constructions, most often from the 1920s to 30s, or from the 1950s to today. At first glance, the typology of referents would appear to be extremely limited.

Working on series is one of the recurrent systems in her work: City, Dark City, etc. For example, she has made two groups representing different brick assembling techniques: Brickworks #1 and #2. Although each painting features an important optical effect, its juxtaposition in the group cancels out any visual disruption.
Yet her work as a whole does not seem to aspire to a better perception of the world.
The pictorial qualities of the paintings are characterised by an accumulation of pictorial layers on the surface of the canvas. Far from being reductions, they are rather the result of accumulations that lead to a hypertrophy of signs. Furthermore, the ongoing addition of works to the production as a whole makes inventory impossible.

In quickly naming the first paintings that come to mind, we realise that the corpus created is not that homogenous. Some of the paintings depict authenticated modernist objects - Adolf Loos, Malevich, van Doesburg or Vasarely - while others are devoted to more recent, featureless architecture - Untitled 01.10 and 01.21. The break marked by the Second World War and the ensuing evolution of architecture could be obvious explanations for this temporal ellipse. In this perspective, the more contemporary situated buildings - rue Zadkine (02.17), Sony/Tokyo (02.26) - would echo the evolution of recent architectural models. But the Disneyland prison, like the Byzantine church or Tudor style facade are paintings that do not fit into any obvious discourse, not to mention the motifs that are not readable at all. Untitled 00.19 is no more than a typical San Francisco house with bosses, perhaps reticulated, over the whole pink-painted facade.

The thick grounds or woven motifs, sometimes full of deliberate cracks; the thick coats of colours; the grids, the stripes; the punctuation; the organised, formless or openworked layers, etc. are all complex, readable, and / or confused procedures. Even in Untitled (99.6) where the motif is simplified to a series of numbered lines of colours, the spectator would have a hard time acting the archaeologist. This visual phenomenon of paradoxical hypertrophy seems to be at the heart of Karina Bisch's work.

The modernist referents and their thick, even formless retranscription contradict each other. In Untitled (98.3), the painting seems to literally run over the surface of the facade. The invasive matter may even follow a precise trajectory (from left to right) defying gravity. The black squares that make up the regular grid of openings have their edges eaten away by paint.
This recurrent duality evokes and thwarts the artistic heritage of "female criticism" of minimalism. In this perspective, the injection of matter into the grid perhaps echoes alternative strategies to what is considered a "rigid" minimalism. Sony/Tokyo (2.26) becomes a container whose different levels reinforce a magma of whirling "drippings".
But these attacks are still part of the fading modernism that Karina Bisch usually refers to. This affiliation is completely natural in that it is included in the open reference to modernisms that in principle form the postulate of her production.

As indicated above, the paintings contain many ornamental motifs. The ostentatious gold background in Untitled (01.09) makes pointed arches into a medieval partitioning of a gem-incrusted trunk rather than a weight-bearing structure of a religious edifice.
If the rich pictorial matter, or even its excess, has not already overshadowed the architecture depicted, let us ignore momentarily the objects she describes. In terms of pictorial treatment, the decorative, as seen earlier, is inscribed in the surface of the canvas.
Yet the decorative is a determining historical notion in the construction of modernist projects. Already, during the Art & Craft movement, William Morris replaced "high art" with applied arts. Craft, carrying a signature, was to resist industry's vulgarisation of culture.
Having inherited the Werkbund debates and their many attempts at bringing together art, craft and industry, the Bauhaus was the site of many pedagogical and artistic conflicts. Constructivism and De Stijl were also times when working methods were developed simultaneously in furniture, textiles, photography, graphics, photomontage, etc.
Beyond conflicts on the subject of neo-plastic rules, the relation between painting and the decorative is perhaps one of the reasons for tension between Theo van Doesburg and Mondrian (cf. view of the exhibition at Paris Project Room with Kristina Solomoukha). The decorative had come to be a threat to high art, at that time founded on the principle of autonomy.

With their overabundance of matter and artificial cracking serving as effects, Karina Bisch's works carry within them the sign of painting.
Clearly, the affirmation of painting's representative status in the form of abandoning mimetic primacy was a decisive operation in 19th century pictorial modernity.
Yet adding to this an affirmation of the principle of autonomy (abstraction) pushed painting into a fatal destiny. Painting inevitably became sign. Its corollary, reification , obstructed all clear reading of abstract painting in terms of intention and program.
Architecture was also led astray in the form of a double-movement: as it became the sign of itself (Untitled, 01.02, cf. R. Venturi), it became less and less significative. In becoming a style, it lost all readability.
Thus painting and architecture and their shared destiny are naturally associated. Hypertrophy establishes an analogy between these two disciplines. It reflects the difficulty of reading an architectural project or pictorial program.


For Memory

For Memory is a group of slabs of cast plaster with an image on the surface, resulting from transfers of illustrations from art history and architecture books on the modern period. They could be seen as a library and the chronological definition of Karina Bisch's paintings. These images could be the key to the pictorial method that the artist reveals sporadically.
Of course, we could also easily speculate on volume - image dichotomies, or architecture - sign, or again sculpture - painting but this series of "tablets" reveals the richness and complexity of Karina Bisch's work.

While the history of modern art is marked by a constant succession of breaks with the past, often proclaimed as such, the For Memory slabs are the artist's affirmations of a symbolic, artistic and cultural heritage: Le Corbusier, Bauhaus, Malevich, as manifestations of the desire to radically redefine art in a forced reunion.

These smooth objects, with their faded, soft whiteness, carrying fragile images join the domain of fetish.
Sometimes presented under the glass of display tables, we are before a succession of images with no apparent link. The fragmentary dimension of the series thus becomes clear.
In his criticism of the museum, Quatremère de Quincy defines fragmentation as one of the unavoidable consequences of "museumisation": "Can one better proclaim the uselessness of works of art than by announcing in the assemblages made of them the nullity of their purpose." .
In his Letter to Armanda, Quatremère condemns the confiscation of works from Antiquity in Rome. For him, while he not absolutely opposed to museums, nothing justifies altering the public and collective space of the city - museum of Rome.
The subjects of the For Memory series are often productions from a specific context (Malevich in the exhibition 0,10, the last Futurist exhibition in 1915), or architecture (the building Behrens designed for the Bauhaus), and clues to their contemporary usage (the restaurant at Le Corbusier's Cité Radieuse in Marseille), etc.
Hence, the form of the works in For Memory evokes the museum object and illustrations designating collective heritage or historical presentations of artworks that may be lost forever.

In its fragmentary dimension, i.e. both removed and isolated from the world and perhaps physically altered, the museum artwork's corollary is nostalgia. In his attempt to update the allegorical paradigm, Owens , quoting Benjamin, indicates that incomplete images appear as ruins to be deciphered. Yet these ruins could represent a specific relation with history: "Here the works of man are reabsorbed into the landscape; ruins thus stand for history as an irreversible process of dissolution and decay, a progressive distancing origin (…)"
The For Memory series gives physical form to the particular relations to works from the past, different relations to history whose symptoms are "fetishisation" and fragmentation, both linked to the processes of "museumisation".
These slabs are phenomena specific to modernity. Although they are a series of unrelated images, we make them into illustrations of a hypothetical, indistinct, monolithic modernity. Yet now we need to understand the particularities of each of the projects made up of specific discourses, attempts, plans and conflicts.

To this simplified definition that belongs to collective imagination, Karina Bisch has chosen from the flood of illustrations from the first half of the 20th century. They thus link individual and collective culture.


The sculptures

Like the For Memory pieces, the elementary volumes and the use of plaster could easily lead us to an exegesis whose terms are again painting, modernist architecture and how they relate.

Presented in the exhibition In the flat field I get bored at Glassbox in 2001, Archisuper is a group of rectangular vertical, horizontal and cubic volumes on homothetic pedestals. For Hard & Craft in 2002 at 9 bis in Saint-Etienne, Karina Bisch exhibited a sculpture that gave three-dimensional form to a "tesseract" cross.
These elementary volumes were then covered with plaster. In the first case, they contrasted with their reconstituted wood pedestal (medium). We then had three juxtaposing signs. The sculptures resembled architectural models of extremely simplified forms. Yet the plaster became the representative of paint laid over the pedestals, which are elementary and constitutive parameters of sculpture. The "tesseract" from 9 bis is an elementary form found in Theo van Doesburg's research. Strangely, it evoked a generic public sculpture by a forgotten author that we could easily imagine in the middle of a modern, urban construction complex.
In both exhibitions, sculpture appeared in its hybrid, reduced, standard and anonymous aspects.
Tesseract is borrowed from elementary research with no particular features that could allow us to recognise the hand of the author of the "Aubette" in Strasbourg. It also designates the elementary dimension typical of exercises from this functionalist era. Whether we think of a caricature of a public commission, an absurd decorative addition to a round-about, or a "masterpiece" from a trade guild; in a single piece, we find forgotten functionalist anonymity and contemporary modernism, now a style that is academic or kitsch, or even pompier (in the historical sense). This work is both the appropriation of a historical example of the aesthetic affirmation of anonymity and an allusion to the ongoing and constantly updated "modernising" style.

elementary functionalism - decorative
anonymity - style

This basic list could sum up the conflicts, pitfalls and paradoxes that characterise modernist research. The terms prevent any nostalgic and caricatured simplification of "modernity", referred to above on the subject of the For Memory series.

These two proposals thus seem to evoke yet again the artwork from museum and anonymous collective heritage. This distinction of course brings us back to the conflicts raised by the creation of museums (Quatremère de Quincy), as well as to the difficulties modernist projects have had in transforming society - or at least in not being alienated by an unstoppable economy whose profitability principle does little to foster human progress.
Finally, the standard dimension of these sculptures echoes the gaps and shortcomings that characterise all museums, all collections of "masterpieces" and all positivist "official historical lines" based on major works to affirm their confident stability.


Karina Bisch's work is noteworthy because she does not seek to break with modernist principles. There is no longer question of developing a third allegorical path to move beyond the so-called abstraction - figuration duality.
Nor does she cultivate melancholy based on the principle of a lost origin.
Rather, Karina Bisch attempts to observe the modalities of constituting forms, examined in a given social, cultural and historical context, either past or present. Each work crosses past and present. In this way, "the sign" becomes form again. In these forms unusual discourses reappear allowing us to update the way we look at the past or try to see the present. Each is a way out of a "dystopian" , often cynical or idle stance sometimes prone to a perverse heroism, a "post-modern" posture, or again nostalgia crossbred with contemporary references.

Elodie Vitale, "Le Werkbund et le fonctionnalisme", pp. 18-22, Le Bauhaus de Weimar 1919-1925, published by Pierre Mardaga, 1989, Brussels.
In the Merriam-Webster dictionary 2002-2003 " Reification: noun. The process or result of regarding (something abstract) as a material or concrete thing." In the text, this term designates the transformation of the status of the work of art in the form of being led astray.
Quatremère de Quincy quoted by Daniel J. Sherman, "Quatremère de Quincy / Benjamin / Marx", pp. 128 ­ 129, in Museum Culture, Histories Discourses, Spectacles, Daniel J. Edited by Sherman and Irit Rogoff, Routledge, London, 1994 ­ 2001.
Craig Owens, "The Allegorical Impulse: Toward a Theory of Post-modernism", in October, n°12, spring 1980, Cambridge, Massachusetts p.70.
A summary in French by Christian Bonnay can be found in Art & Theorie 1900-1990, une anthologie, by Charles Harrisson and Paul Wood in Hazan, 1997.
Art & Theorie 1900-1990, une anthologie, page 1148.
Dystopian is a neologism meaning the opposite of utopian. For example: "Unfortunately, he has gone on, in his writings, to suggest a no less mythic kind of dystopian resignation in lieu of former transcendental aspirations." John Miller, "Lecture Theater: Peter Halley's 'Geometry And The Social'" in The Price Club. Selected Wrtitings (1977 - 1998), JRP Editions & Les Presses du Réel, Geneva/ Dijon, 2000, p. 45.


 
 

L'exception fait la règle :
déconstructions
et constructions
dans l'œuvre de Karina Bisch

L'œuvre de Karina Bisch pourrait être abordée sous l'angle du contre-exemple. A la tentation rationnelle d'en discerner des postulats pour en expliquer schématiquement les mécanismes, se confronte une série d'exceptions qui en rendent l'interprétation moins aisée. La moindre ébauche de définition bute ainsi d'emblée sur son contraire:
1) Karina Bisch fait de la peinture (mais aussi des dessins, des sculptures et des installations)
2) Ses œuvres résultent en général du ramollissement de la géométrie en architecture (mais dans certains cas aussi d'une stylisation assez proche du réel)
3) Sa pratique procède de la déconstruction de la grille moderniste (mais elle s'inspire aussi de plus larges références)

C'est à travers l'historique, non pas des œuvres individuelles, mais des accrochages et expositions de Karina Bisch depuis 1998, que le travail prend son ampleur et s'articule. Les accrochages font en effet exister l'œuvre, qui, pour l'artiste, est avant tout un objet qui s'expose. Dès ses premières œuvres, Karina Bisch joue avec de très petits formats, qui affirment le tableau comme petit objet à collectionner et contraignent par ailleurs cette imposante architecture à devenir une miniature. Le tableau a une physicalité ; plutôt qu'une fenêtre, il est un immeuble ouvert sur le monde - mais un monde social et vivant. De forme rectangulaire, les tableaux verticaux évoquent malgré eux des immeubles et les horizontaux des bandeaux de fenêtres. Ils sont l'occasion de jeux d'échelles et d'adéquations entre ce qui est représenté et l'objet qui le représente. Même dans un contexte de galerie, où la destination commerciale des œuvres implique qu'elles soient considérées individuellement, l'artiste prend le parti de l'accrochage linéaire pour mieux s'en libérer. Ses accrochages répondent précisément à la raison d'être de l'exposition contemporaine : de la confrontation de deux œuvres naît un troisième espace signifiant. C'est dans cet interstice immatériel, croisant références, formes et processus, que les contre-exemples peuvent y trouver justification.

Déconstruction et construction semblent être les moteurs inversés du travail de Karina Bisch. Partant en 1998 d'une déconstruction picturale de la géométrie interne à chaque tableau, l'artiste semble élargir dans un premier temps cette déconstruction à une désacralisation de codes appartenant à un système de valeurs modernes et occidentales, par l'introduction de référents extérieurs venant les contredire. En parallèle à cet élargissement, elle déplace la déconstruction interne à chaque tableau vers une déconstruction spatiale, par l'accrochage éclaté puis par l'installation de peintures et de sculptures. Pourtant, quatre années d'une pratique en apparence marquée par la déconstruction, loin d'être chaotiques, affirment bien au contraire un souci de construction sous-jacente. Reflétant des problématiques propres à l'architecture et à la philosophie contemporaines, déconstruire c'est aussi analyser, réorganiser, donc construire. L'archivage, le processus de report pictural, l'accrochage et la sculpture de Karina Bisch sont des constructions visuelles et mentales qui bâtissent progressivement l'œuvre.

La méthode de travail initiale de Karina Bisch procède de l'observation, réelle ou d'après reproductions, d'architectures et de leur interprétation par des croquis, eux-mêmes reportés sur des toiles enduites. Ces représentations, que l'artiste inscrit dans des carnets au fil de recherches historiques et de promenades urbaines, résultent de différents points de vue liés aux contingences de leurs conditions d'observation. Vue d'un train, expérimentée physiquement ou feuilletée dans un livre, l'architecture est ainsi dépendante de décalages de perception et de rapports d'échelle entre détail et vue d'ensemble. La façade est un élément fréquemment choisi pour son adéquation avec la deuxième dimension du tableau et son inclinaison à former une grille orthonormée. Ainsi, la plupart des tableaux de l'artiste entre 1998 et la fin 2001, généralement de petit format, déconstruisent la géométrie de façades d'architecture, dans leur ensemble ou dans le détail, par la simplification, le débordement et le ramollissement de la matière picturale. Le rendu volontairement maladroit, tremblant ou empâté viserait à déstabiliser l'inébranlable harmonie géométrique et l'idéologie qui l'accompagne. C'est à partir de ses premières expositions, et notamment de sa première exposition en septembre 2000 à la galerie des Filles du Calvaire, Monumental, qu'il est alors tenté de retenir de l'œuvre, alors émergeante, une idée principale : le travail de Karina se réduirait à une déformation de la grille moderniste par la peinture. L'artiste manipule en effet le " monument " moderne en jouant avec un corpus de références proprement occidentales, de Loos à Venturi, du Bauhaus aux grands ensembles des années 70, de Rietveld à Hundertwasser. Elle semble ainsi déconstruire, non seulement le modernisme mais également sa propre déconstruction par le post-modernisme.

Pourtant, à bien l'observer, se greffe à l'œuvre un goût pour le vernaculaire et le pop qui contredit l'arrogance d'une position visant à déconstruire littéralement le modernisme. Certains titres d'œuvres ou d'expositions, qui combinent des chansons rock ou populaires à l'histoire de l'art, en sont déjà une indication. Choisissons quelques emprunts les plus signifiants : la chanson du groupe rock Bauhaus In the flat field I get bored comme dérision du formalisme ; le mauvais jeu de mot sur le mouvement écossais Hard and Craft ; ou encore la chanson mélo des années 60, Don't play it no more . Associés à des superlatifs exagérés ( Archisuper ) et à la langue anglaise, ces titres confèrent à l'œuvre un côté glamour qui agit comme porte de secours à la catégorisation formelle. Ils existent aussi comme affirmation d'une position artistique qui se situe consciemment après les avant-gardes, après le modernisme, après les utopies.
Quant au contenu de ses œuvres, Karina Bisch introduit çà et là dans ses accrochages des formes inattendues : un bâtiment en Guinée, une église byzantine, une maison de campagne à colombages ou la prison de Disneyland, présentées sur le même plan que les formes de l'histoire occidentale moderne. Contrairement aux autres tableaux qui témoignent d'une recherche référencée, ceux-ci correspondent plutôt à la spontanéité d'un voyage ou au plaisir d'une promenade urbaine. Ils contournent les règles qui fondent l'œuvre en apparence pour en amorcer une lecture par exceptions.

Cette hétérogénéité des formes et des sources, qui ouvre l'interprétation du travail tout en en révèlent le processus, est particulièrement visible aux travers des accrochages successifs de Karina Bisch.
Les accrochages mettent en évidence un processus de va-et-vient de l'œuvre dans un interstice qui tantôt affirme, tantôt réfute un certain nombre de principes binaires : vernaculaire contre moderne, détournement de l'archive contre représentation du réel, détail architectural contre vue d'ensemble, décor contre structure, etc. L'accrochage de six tableaux dans l'exposition Wahrscheinlich à Alimentation générale, au Luxembourg, en novembre 2001, pourtant linéaire et à l'équilibre parfait, peut à lui seul résumer cette complexité. De gauche à droite on pouvait y lire: une vue d'ensemble en perspective mais schématisée d'un immeuble au décor rouge et bleu imité de Le Corbusier; le report tremblant du dessin " I am a monument " tiré du fameux Learning from Las Vegas de Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour (1977); un détail painterly empâté mauve et blanc; le détail presque réaliste d'un photomontage de Malevitch ; la prison de Disneyland en briques rouges ; et finalement la reproduction de la maquette Cinema 81 de Dan Graham. Condensé d'histoire de l'art, l'accrochage mêle le moderne d'un côté, l'industrie culturelle de l'autre, et la pensée critique des années 70 comme passerelle.

Si l'œuvre de l'artiste prend pied dans une déconstruction de la représentation interne à chaque tableau, celle-ci s'élargit rapidement à l'accrochage dans son ensemble. L'exposition en octobre 2001 à Paris Project Room avec Kristina Solomoukha montre un accrochage éclaté qui croise les travaux des deux artistes et ouvre sur de nouvelles recherches pour Karina Bisch. Au contact de Kristina Solomoukha qui combine documents d'architecture, maquettes et dessins, Karina Bisch choisit des tableaux peints d'après documents qui laissent visibles par endroits les traits de bâti. Elle affirme ainsi non seulement sa pratique du dessin, jusque là implicite préparation aux peintures, mais aussi son intérêt grandissant pour le document d'archive qu'elle développera dans son projet For Memory.
Faisant suite à l'accrochage éclaté de Paris Projet Room, celui de In the flat field I get bored à Glassbox à Paris en décembre 2001 fait passer Karina Bisch de l'accrochage de tableaux à l'installation. Quatre peintures horizontales, schématisant en noir et blanc des briques, évoquent par leur accrochage en quinconce un mur de briques. La mise en abîme contenu-contenant et l'utilisation de la forme tableau comme élément de composition confirment chez l'artiste une pensée spatiale de l'exposition. Le mur Bricksworks de Glassbox annonce les installations Dark City à Art Dealers à Marseille en juin 2002 puis City à la galerie de Noisy-le-Sec en décembre 2002 qui prendront littéralement le tableau comme immeuble pour former des paysages urbains. L'accrochage de Dark City, remake nocturne d'une sélection de dix tableaux de l'artiste, introduit dans l'œuvre une temporalité et une conscience d'un travail rétrospectif. Combiné à un wall painting évoquant un horizon stylisé de ville, il confirme par ailleurs l'intérêt de Karina Bisch pour la décoration murale, dans ses peintures réalisées d'après les peintures murales de François Morellet jusqu'aux projets de façades de Victor Vasarely (Vasarely - présentoir 1, 2002).

Cette pratique d'accrochage, essentielle dans l'œuvre de Karina Bisch, est aussi le résultat d'expériences collectives en compagnie de commissaires et d'autres artistes dont le dialogue et l'amitié enrichissent le travail de l'artiste. Les expositions déterminantes de l'hiver 2001 Wahrscheinlich , In the flat field I get bored et Hard and Craft ont toutes été organisées avec une cohérence rare par Julien Fronsacq, avec des artistes qui se soutiennent mutuellement dans leurs pratiques, Stéphane Albert, Nicolas Chardon et Gyan Panchal.
Ce sont ces expositions qui présentent les premières sculptures de Karina Bisch. Archisuper à Glassbox et Tesseract à Saint Etienne sont de simples volumes en plâtre et bois, comme des réductions de l'architecture à ses éléments basiques. Par la sculpture, Karina Bisch passe de la déconstruction à la construction, mais aussi de la représentation d'immeubles à une analyse structurelle de l'architecture. Le rapport à l'architecture, en jeu dans les sculptures, n'est plus un rapport de représentation mais un rapport structurel, s'attachant à en exprimer schématiquement les volumes et les éléments intrinsèques. Elles sont à la fois construction et déconstruction. Par l'utilisation du matériau MDF elles sont géométriques et rigides d'un côté, mais par le plâtre elles poursuivent de l'autre les recherches de déformations sur la géométrie des premières peintures de l'artiste, comme pour arrondir les angles d'une géométrie toute puissante. Tesseract, sculpture inspirée d'une forme de Theo Van Doesburg de sept cubes de bois assemblés en leur centre et couverts de plâtre dégoulinant, est celle qui résumerait au mieux ce contraste. Les sculptures Archisuper et Don't play it no more apportent à l'œuvre une nouvelle force conceptuelle. La première est une installation de trois parallélépipèdes de plâtre dont le volume occupe la moitié de leur socle en bois ; la seconde est un socle en bois vide que le plâtre semble remplir tandis qu'il est en réalité plein de 3 cm seulement. L'imagination doit en évaluer les proportions et en reconstituer mentalement les volumes immergés, dans un jeu de présence et d'absence. Une œuvre à la perception d'avantage mentale se dessine, faisant naître une interprétation à partir de notions de positif et de négatif (For Memory), de jour et de nuit (Dark City), de matérialité et d'immatérialité.

En témoigne For Memory (2003) dans la récente exposition Subtiles élégances à La Galerie de Noisy-le-Sec, à la présentation particulièrement pertinente en écho à l'œuvre de l'artiste Haegue Yang. L'œuvre est une série de briques carrées moulées dans le plâtre sur lesquelles sont décalquées des photocopies noir et blanc d'images d'archives dont le sens de lecture se trouve ainsi inversé. Présentées dans des vitrines, les reproductions proviennent de l'histoire moderne de l'art et de l'architecture, d'œuvres d'artistes contemporains, mais aussi de bandes dessinées, de publicités, de magazines ou de documentation personnelle. Collection d'images qui acquiert un sens dans la profusion et la répétition, cette œuvre rend explicite le corpus de références qui inspire depuis 1998 le travail de Karina Bisch. Montré aux côtés d'un tableau blanc monochrome dont la matière révélait un tracé de façade sous-jacent, For Memory est un travail d'empreinte, dans la continuation des reports de façades préparatoires aux peintures de l'artiste. Mais par l'inversion des images, l'artiste retourne littéralement les références qui lui sont chères et nous incite à évaluer à rebours l'évolution de son travail. Elle concentre en une seule œuvre les éléments qui fondent ce travail aujourd'hui: la déconstruction dans la construction; le rapport de l'œuvre au document et à sa reproduction ; le va-et-vient entre l'observation de la réalité et l'interprétation d'archives ; l'évocation d'un contre-exemple négatif par rapport à un positif donné; la juxtaposition de sources hétérogènes au moderne; et l'œuvre comme objet d'exposition et d'auto rétrospective.

Si le travail de Karina Bisch s'inspire des formes de l'art et de l'architecture modernes, il en questionne l'autorité et la part d'utopie par les voies de la distorsion, la dérision et l'impureté. C'est à partir d'une méthode formelle rigoureuse que l'artiste s'autorise les écarts qui confèrent à l'œuvre exposée une cohérence dans la dialectique. L'œuvre peut alors se mesurer non pas comme représentation mais comme structure réceptive de concepts. En constant questionnement, Karina Bisch continue par d'autres moyens plastiques ses préoccupations picturales initiales avec la volonté de toujours réinventer sa peinture, adoptant ainsi une position résolument contemporaine.


Marianne Lanavère


Marianne Lanavère est commissaire d'expositions indépendante et vit à Paris.


 

The Exception to the Rule:
Deconstructions
and Constructions
in Karina Bisch's Work

Karina Bisch's work could be tackled from the angle of the counterexample. Rational attempts at briefly explaining its mechanisms through its basic premises immediately come up against a series of exceptions that make the work's interpretation more complex. The slightest outline of a definition is at once nuanced by its counterpoint:
1) Karina Bisch makes paintings (but also drawings, sculptures and installations)
2) Her works generally result from the softening of architectural geometry (but also from more or less realistic stylisation)
3) Her practice proceeds from deconstructing the modernist grid (but is also inspired by wider references)

It is from the history, not of Karina Bisch's individual works, but of her exhibitions since 1998, that the work reveals its full scope and articulates itself. Hanging the work makes it exist. For the artist, it is above all an object to be exhibited. Right from her first works, Karina Bisch has played with tiny formats, that affirm the canvas as a small object to collect, and constrains the imposing architecture used a referent to become a miniature. The canvas has a physicality; rather than a window, it is a building open to the world - a social and living world. Rectangular-shaped, the vertical canvases evoke buildings, and the horizontal ones window strings despite themselves. They occasion scale and appropriateness games between the subject represented and the object that represents it. Even in a private gallery context, for which the commercial purpose of the works implies that they be considered individually, the artist responds with a linear hanging and makes light of its constraints. Her hangings precisely respond to the raison d'être of the contemporary exhibition: from the confrontation of two works springs a third meaningful space. It is in this immaterial interstice, crossing references, forms and process, that counterexamples justify themselves.

Deconstruction and construction seem to be the reversed motors of Karina Bisch's work. Starting in 1998 from a pictorial deconstruction of the internal geometry of each canvas, the artist first extends this deconstruction to a dismantling of the sacred aura of modern occidental codes, by introducing outsider referents. In parallel to this extension, she makes the internal deconstruction of the canvas shift in space, through scattered hangings, then through the installation of paintings and sculptures. Nevertheless, four years of a practice apparently marked by deconstruction, far from being chaotic, affirm on the contrary an underlying concern for construction. Reflecting contemporary architectural and philosophical issues, deconstructing also means analysing, re-organising, hence constructing. Karina Bisch's archive, the pictorial transferring process, the hanging and her sculptures are visual and mental constructions that progressively build the work.

Karina Bisch's initial working method proceeds from the observation, of reality or of reproductions, of architecture, and of its interpretation through sketches, that the artist transfers onto coated canvases. These representations, inscribed in the artist's notebooks throughout her historical research or her city walks, result from various points of view according to conditions in which they were observed. Seen from a train, physically experienced or while flipping through a book, the architecture is dependent on perception discrepancies and scale comparisons between detail and overall view. The façade is frequently chosen by the artist, for its appropriateness to the two dimensions of the canvas and its tendency to form an orthogonal grid. This is how most of the artist's canvases between 1998 and the end 2001, generally of small format, deconstruct the geometry of façades, through simplification, excess and softening of the pictorial matter. The deliberate clumsy rendering, trembling or coated, aims to destabilise the unshakeable geometrical harmony, as well as its ideology. It is from her first exhibitions, especially her first one in September 2000* at the Filles du Calvaire Gallery, that we can be tempted to retain the one main idea emerging at the time from the work: it could be reduced to a distortion of the modernist grid through painting. The artist, indeed manipulates the modern "monument" by playing with a corpus of specifically occidental references, from Loos to Venturi, from the Bauhaus to the 70's high-rise estates, from Rietveld to Hundertwasser. She also seems to deconstruct not only modernism but also the deconstruction that post-modernism made from it.

Nevertheless, if well observed, a taste for vernacular and pop is grafted to the work and contradicts the arrogance of a position that aims to deconstruct modernism literally. Some titles of works and exhibitions, that combine rock or popular songs with art history, are already signs of it. Let's choose the most meaningful borrowings: the Bauhaus rock band's song "In the flat field I get bored"* as a derision of formalism; the pun on the Scottish movement "Hard and Craft"*; or also the soppy 60's song Don't play it no more*. Combined with exaggerated superlatives such as Archisuper* and with the English language, these titles give to the work a glamour aspect that acts as an emergency door against formal categorisation. They also exist as assertions of an artistic position that is consciously situated after the avant-garde, after modernism, after utopias.
In the content of the works, one can find again the same concerns. Karina Bisch introduces unexpected forms here and there: a building in Guinea*, a Byzantine church*, a Tudor-style country house* or the Disneyland prison*, presented on the same level as forms of occidental modern history. In opposition to other canvases that point to a referential research, these rather correspond to the spontaneity of a journey or to the pleasure of an urban walk. They get around the rules that apparently base the work, in order to initiate a reading by exceptions.

This heterogeneity of forms and sources, that opens the work's interpretation and reveals its process, is particularly visible through Karina Bisch's successive hangings. They reveal a backwards and forwards process in the work within an interstice that sometimes affirms, sometimes rejects, a number of binary principles: vernacular against modern, re-routed archives against representation of reality, architectural detail against overall view, decoration against structure, etc. The hanging of six canvases in the exhibition "Wahrscheinlich" at Alimentation Générale in Luxembourg in November 2001, although linear and perfectly balanced, can alone summarise this complexity. From left to right one could read: an overall but stylised view in perspective of a building with a red and blue decoration like a Le Corbusier; a shaky transfer of the drawing "I am a monument" from the well known book Learning from Las Vegas by Robert Venturi, Denise Scott Brown and Steven Izenour (1977); a painterly and blobby purple and white detail; the nearly realistic detail of a photomontage by Malevich; the Disneyland prison in red bricks; and finally the reproduction of the Cinema 81 model by Dan Graham. A summary of art history, this hanging mixes the modern on one hand, the cultural industry on the other hand, and critical studies of the 70's as a bridge between the two.

If the artist's work gets a foothold in the deconstruction of representation internal to each canvas, this extends quickly to the hanging as a whole. The exhibition in October 2001 at Paris Project Room with Kristina Solomoukha shows a scattered hanging that crosses the two artists' works and opens onto new research for Karina Bisch. With Kristina Solomoukha, who combines in her work architecture documents, models and drawings, Karina Bisch selects canvases painted from documents, that make visible the reference marks. Hence she affirms not only her drawing practice, implicit preparation for the paintings until now, but also her growing interest in the archival document, that she will develop later on in her project For Memory.
Following the Paris Project Room exhibition, the show "In the flat field I get bored" in Glassbox in Paris in December 2001 makes Karina Bisch move from the hanging of paintings to installation. Four horizontal paintings stylising bricks in black and white evoke by their arrangement in staggered rows a brick wall. The mirroring of container-contents and the use of the shape of the painting as an element of composition straightens a spatial approach of the exhibition in the artist's work. The wall "Brickworks" at Glassbox announces the installations Dark City at Art Dealers in Marseilles in June 2002, then City at La Galerie in Noisy-le-Sec in December 2002 that will literally use the canvas as a building to create urban landscapes. The Dark City hanging, a night remake of a selection of ten paintings by the artist, introduces in the work a temporality and the awareness of retrospective. Combined to a wall painting suggesting a stylised city landscape, it also confirms Karina Bisch's interest for mural decoration in her canvases realised from mural paintings by François Morellet* to façade projects by Victor Vasarely (Vasarely - présentoir 1, 2002).

This hanging practice, essential in Karina Bisch's work, also results from collective experiences with curators and other artists whose dialogue and friendship enrich the artist's work. The determining exhibitions of Winter 2001, "Wahrscheinlich", "In the flat field I get bored" and "Hard and Craft" have all been organised with a rare coherence by Julien Fronsacq, with artists who support each other in their practices: Stéphane Albert, Nicolas Chardon and Gyan Panchal.
These exhibitions present Karina Bisch's first sculptures. Archisuper* at Glassbox and Tesseract* in Saint Etienne are simple plaster and wood volumes, as if architecture had been reduced to its basic elements. Through sculpture, Karina Bisch moves from deconstruction to construction, but also from building representations to a structural analysis of architecture. The relationship to architecture, that is at work in the sculptures, is no longer a representational relationship but a structural relationship, attempting to diagrammatically express its volumes and intrinsic elements. On one hand, by using the MDF material they are rigid, but on the other hand, by the plaster, they continue the research on distorting the grid, present in the artist's first paintings, as if to round off the angles of a powerful geometry. Tesseract, a sculpture inspired from one of Theo Van Doesburg's shapes for seven wooden cubes assembled in their centre and covered with dripping plaster, is the sculpture that could best summarise this contrast.
In parallel, the sculptures Archisuper and Don't play it no more* bring to the work a new conceptual strength. The first one, is an installation of three plaster parallelepipeds whose volume occupies half of their wooden plinth; the second one is made of six empty wooden plinths, which seem to be filled with plaster although it actually fills them until only 3 cm from the top. Our imagination has to evaluate its proportions and mentally reconstitute its immersed volumes, with a play on presence and absence. The work opens to a more mental perception, and proposes an interpretation from notions such as the positive and the negative (For Memory), day and night (Dark City), materiality and immateriality.

This is shown in For Memory, in the recent exhibition "Subtiles élégances" at La Galerie in Noisy-le-Sec in 2003, a presentation that was particularly relevant in echo with Haegue Yang's work. The work is a series of squared bricks moulded in plaster, on which black and white photocopies of archive images have been transferred, inverting their reading. Presented in showcases, the reproductions of For Memory come from modern art and architecture history and from contemporary artists' works, but also from comics, adverts, magazines and personal documentation. As a collection of images that gains meaning through profusion and repetition, this work makes explicit the corpus of references that have inspired Karina Bisch's work since 1998. Exhibited beside a white monochrome painting*, whose matter reveals an underlying façade line, For Memory is an imprint work, in the continuation of the preparatory façade transfers onto the artist's paintings. But by inverting the images, the artist literally turns back her fond references and invites us to evaluate backwards the evolution of her work. It concentrates in one unique work the elements that base the work today: the deconstruction within the construction; the relationship of the work to the document and its reproduction; the backwards and forwards movement between observing reality and interpreting archives; the evocation of a negative counterexample in relation to a given positive; the juxtaposition of heterogeneous sources against the modern; and the work as object for exhibition and self-retrospective.

If Karina Bisch's work is inspired by modern art and architecture forms, it questions its authority and its utopian part by ways of distortion, derision and impurity. It is from a rigorous formal method that the artist allows herself some deviations, which give the exhibited work a coherence within dialectics. The work can be assessed not as representation, but as a structure receptive to concepts. In constant questioning, Karina Bisch continues through other plastic means her initial pictorial concerns, with the will to always reinvent her painting, adopting in this manner a resolutely contemporary position.


Marianne Lanavère


Marianne Lanavère is an independent curator based in Paris.

 
 

Entretien

Julien Fronsacq :

Dans un texte consacré à ton travail (« L'exception fait la règle : déconstructions et constructions dans l'œuvre de Karina Bisch », in KB, mars 2003, Paris), Marianne Lanavère avait souligné les nombreuses variations dans tes présentations. A ce sujet, on pourrait déterminer une typologie.
Ainsi, ta première exposition personnelle à la galerie Les filles du calvaire (2001) procédait d'un inventaire arbitraire qui conférait un effet cinématographique « primitif » à l'ensemble des tableaux. Par contre, dans le cadre d'une exposition récente au Collège Marcel Duchamp, à Châteauroux, les principes de présentation semblaient tout à fait spécifiques.

Karina Bisch :

En effet, depuis cette première exposition, où l'accrochage était très classique, j'ai saisi chaque occasion d'exposition pour repenser la manière de voir et d'appréhender mon travail, d'abord dans son propre développement et aussi par rapport au lieu, par rapport à l'histoire. Chaque accrochage est ainsi une tentative consistant à mettre mon travail « au travail ».
Je peux dire rapidement que depuis quatre années j'ai notamment développé un travail de sculpture en parallèle à celui des peintures. Ces sculptures sont certainement plus abstraites que mes tableaux, qui sont construits sur l'observation d'une géométrie présente dans le réel. Assemblages de volumes cubiques, peints ou plâtrés, celles-ci possèdent une grande force matérielle qui m'oblige donc, à chaque fois, à penser leur position en regard des peintures.
Par exemple, dans l'exposition de Châteauroux, je montrais un ensemble de six tableaux, accrochés en ligne, en face desquels, sur des socles évidés blancs, étaient posées quatre petites sculptures aux couleurs pastel (ill. p 41/42).
Pour la première fois, c'est un document qui a déterminé l'accrochage. Il s'agit d'une vue d'une salle du musée de Łódź, ce haut lieu du modernisme, où sont notamment présentées des œuvres de Streminzky et Kobro.
La reprise est d'usage dans mon travail, mais elle est ici élargie à l'installation même des pièces. Le caractère littéral de cette reprise, qui donne à l'ensemble l'aspect d'un environnement pictural (la ligne de tableaux autour de laquelle s'organise une peinture murale rouge et bleue, les socles blancs, les sculptures colorées) n'assujettit pourtant pas mes œuvres, prises individuellement, à un modèle historique précis. Rien n'est vraiment ressemblant, mais tout semble correspondre.
Les couleurs des peintures murales sont plutôt sombres, contrastées par les couleurs des tableaux, très claires ; les socles sont des sortes de sculptures « à la Sol Le Witt » ; les sculptures, assemblages simples de volumes géométriques, affichent des couleurs de bonbons trop sucrés : la dissonance s'insinue partout et pourtant, de loin, tout cela a l'air bien moderne !

JF :

Tu qualifies très justement Łódź de « haut lieu du modernisme ». Si cette ville a été un lieu relais des avant-gardes, elle a été le témoin d'expériences modernes autant que déjà modernistes. On peut ainsi dire que Łódź dans les années 20 bénéficie d’autant plus d'une légitimité historique qu’elle est le lieu des premières réifications. Héritière, Łódź rendrait les origines mythiques. On pourrait frôler le mauvais jeu de mot et dire « Łódź - banlieue du Haut Modernisme ».

Cette installation à Châteauroux n'est pas sans évoquer l'art de l'aménagement dans sa version maniériste. Or, il est intéressant de remarquer que la redéfinition et l'exploration des modalités de présentation ont été cruciales pour les avant-gardes : de la conquête de l'angle par Malevitch et Tatlin à un espace adapté et fonctionnel pour l'art abstrait, en passant par les projets les plus exceptionnels d'Hannes Meyer pour de grandes foires. Bien sûr, lorsqu'on fouille dans notre mémoire, l'aménagement évoque également les arts ménagers des années 50.

L'ensemble de l’exposition engendre alors une somme d'allusions des années 20 aux formes les plus contemporaines, anonymes et galvaudées. Au-delà de notions attenantes à la réification, la dimension hypertextuelle se retrouve dans chacune des œuvres que tu produis. Cette multiplication d’évocations ne confère-t-elle pas une qualité narrative particulière à ton travail ?

KB :

Je tiens beaucoup à cette narration en millefeuille.
Elle se développe au fur et à mesure de l'élaboration des pièces. Cela ressemble à un travail de collage, de superposition, à la fois de réflexion, de recherches formelles, de souvenirs, d'intuitions, de références, de citations, de private jokes. Bref, un catalyseur avec divers points d'entrée.
On peut facilement l'observer dans certaines de mes expositions où le déroulement panoramique suggère déjà la narration. Les œuvres se succèdent et se répondent. Ces liens sont de natures différentes, ce qui provoque des interférences, qui en réorientent la perception, cette fois dans une toute autre perspective.

JF :

Il s'agit bien là d'un projet débarrassé de toute mélancolie et autres impasses. Tu parles justement de reprises pastel et sucrées, autant d’entreprises libérées que je ne peux m'empêcher de renvoyer à des productions culturelles que tu affectionnes tant. Pêle-mêle, j'évoquerais respectueusement Elvis, Bruce Lee, le hip hop, certains « B » et autres teen movies... Méfiant à l'égard du biographisme, pourtant si caractéristique des entretiens, je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a dans ces divers objets des points communs. Peux-tu m'en dire un peu plus au sujet de ces productions ?

KB :

Le point de départ de chaque partie de mon travail prend en considération la notion de standard. Les formes géométriques, provenant de l'architecture ou de la peinture, sont entendues comme des formes normalisées ; les sculptures, par exemple, sont produites à partir de formes communes, comme le cube, le parallélépipède et de l'utilisation de matériaux basiques comme le plâtre, le bois, le métal. Ces sculptures sont affublées de titres de standards du rock’n’roll, eux-mêmes maintes fois repris et réadaptés.
Je pars toujours de formes existantes, ayant déjà subi beaucoup de manipulations et reformulations. Je construis avec des formes usées, vulgaires. Le standard que je considère alors est celui de la concrétisation évidente de l'utopie moderniste. Remettre tout à plat, et commencer autre chose.

J’aime installer une hiérarchie subjective. Dans mon travail, on peut trouver un tableau avec un détail d'une façade de Le Corbusier jouxtant un tableau dont le modèle est cette fois anonyme, qui, tous deux, proposent des codes formels et de couleurs quasi similaires. Cette perturbation m’intéresse, car elle questionne la notion d’original, de modèle, et la place qu’occupe ce modèle aujourd’hui.

Pour revenir à ta question, sur l’imbrication de mes goûts en matière de musique ou de cinéma, avec mon travail, je peux dire qu’ils sont toujours présents, comme une toile de fond, et qu’ils peuvent être parfois à la naissance de nouvelles pièces. La vision de Gordon Liu manipulant un nunchaku à trois bâtons dans La 36ème chambre de Shaolin, de Liu Chia-Liang, associée à celle de la Danse des Bâtons, d’Oscar Schlemmer, a donné lieu à la construction du Nunchakube (ill. p 45). Il s’agit d’un cube en bois et dont les sommets métalliques sont joints par des chaînes, un véritable fléau cubique, propice à la lutte à mort que se livre l’homme avec la géométrie.

JF :

La stratification est donc à l'échelle d'une œuvre autant qu'à celle d'une exposition. Méthode dans la conception des expositions, elle est aussi à l'œuvre dans ton travail.
La stratification -marque du temps- est aussi une méthode d'appropriation. Des liens se créent entre des éléments hétérogènes désormais indissociables. Elle relie et produit une unité singulière qui dépasserait la juxtaposition, l'alignement ou le recouvrement. Les éléments indexés sont de nature différente : anonymes, historiques, artistiques, culturels... Enfin, elle est une méthode qui produit du sens par la liaison, autant qu'un phénomène qui t'échappe volontiers.

KB :

Je voudrais préciser que les citations que j'utilise sont pour moi des outils de travail. Je manipule et je me sers de ces formes, de ces images, de ces couleurs avec beaucoup de simplicité.
Les pièces de VKS en sont un bon exemple. Les Géants (ill. p 23/24/25), présentés à l’occasion de l'exposition Gemütlichkeit, ont des potentiels de lecture très divers : des références à Matisse (aux papiers découpés), à Picasso, à la pratique du collage cubiste, au décoratif (tapisserie), à la mode (vêtements), au futurisme (ces vêtements sont repris d'après des dessins de Giacomo Balla), un corps hors proportions humaines, le cirque, le monumental, la physicalité des matériaux, etc.
Je tiens à pouvoir évoluer dans mon travail sans contraintes formelles, stylistiques ou techniques. Ce qui m'intéresse finalement c'est construire, et non reconstruire.

  Interview

Julien Fronsacq:

In a text on your work (“The Exception to the rule: Deconstructions and Constructions in Karina Bisch’s work“, in KB, March 2003, Paris), Marianne Lanavère had underlined the numerous variations in your presentations. On that subject, we could determine a typology.
So, your first solo-show at the gallery Les filles du calvaire (2001) proceeded from an arbitrary inventory that conferred a “primitive” cinematographic effect on all of the paintings. On the other hand, in a recent exhibition at the Marcel Duchamp College in Châteauroux, the display principles seemed entirely specific.

Karina Bisch:

Yes, since this first exhibition, in which the hanging was very conventional, I have seized every occasion to exhibit in order to rethink the way to look at and apprehend my work, first in its own development and also in relation to the place, in relation to history. Every hanging is thus an attempt consisting in putting my work “to work”.
I can quickly say that over the last four years I have also been making sculptures, parallel to my paintings. These sculptures are certainly more abstract than my paintings, which are constructed through observation of geometry present in reality. Assembling of cubic volumes, painted or plastered, they possess great material force that compel me, every time, to think of their position in comparison with the paintings.
For example, in the Châteauroux exhibition, I showed a series of six paintings, hung in a line, facing four small pastel coloured sculptures that were placed on white hollowed out plinths. (ill. P 41/42).
For the first time, a document had determined the hanging. It is an exhibition view of one of the rooms at the Łódź Museum, this Mecca for modernism, where are presented among others, Streminzky’s and Kobro’s works.
Re-using is customary in my work, but here it is enlarged to the actual installation of the pieces. The literal character of this re-using, which gives the whole installation the aspect of a pictorial environment (the line of paintings around which there is a red and blue wall painting, the white plinths, the coloured sculptures) does not subject, even so, my works, taken individually, to a precise historical model.
Nothing is really true to life, but everything seems to correspond.
The colours of the wall painting are rather dark, contrasted by the very light colours of the paintings; the plinths are sorts of Sol Le Witt-like sculptures; the sculptures, simple assembling of geometric volumes, flaunt the colours of candy with too much sugar: the dissonance worms its way in everywhere and yet, from afar, it all strikes us as very modern!

JF:

You describe Lodz quite rightly as the “Mecca for modernism”. If this city was a stopover for the avant-gardes, it was the witness of modern experiences as mush as already modernist. One can therefore say that in the 1920s Łódź benefits all the more so from a historical legitimacy since it is the place of the first reifications. As heir, Lodz would make the origins mythical. We could border on bad play on words and say “Lodz – the suburban Mecca for modernism”.

This installation at Châteauroux recalls the art of display in its mannerist version. And yet, it is interesting to remark that the redefinition and exploration of the display modes were crucial for the avant-gardes: from the conquest of the corner by Malevitch and Tatlin to a space that is adapted and functional for abstract art, through to the most exceptional large fair projects by Hannes Meyer. Of course, when we delve into our memory, the art of display also evokes the domestic arts of the 1950s.

The whole exhibition creates then a sum of allusions from the 1920s with the most contemporary, anonymous and trite forms. Beyond the adjoining notions to the reification, the hyper-textual dimension is present in every one of the works that you produce. Doesn’t this multiplication of evocations confer a particular narrative quality to your work?

KB:

I’m very attached to this mille feuilles narrative.
It develops as the elaboration of the works do. It’s like working on a collage, superposing, at once reflection, formal research, memories, intuition, references, citations and private jokes. In short, like a catalyser with different entry points.
One can easily observe this in some of my exhibitions in which the panoramic development already suggests a narrative. The works follow and answer one another. These links are of different nature, which provoke interferences that reorient the perception, this time in a completely different perspective.

JF:

There you are really talking about a project that is void of all melancholy and other deadlocks. You speak precisely about the re-using of pastels and sugary colours, as many free undertakings that I cannot keep myself from referring to those cultural products that you are so fond of. Any old how I will mention, with respect, Elvis, Bruce Lee, Hip-Hop, certain “B” and teen movies… Suspicious regarding biographic references, yet so characteristic of interviews, I can’t help but think that there are things in common between these objects. Can you tell me a bit more about these products?

KB:

The starting point of every part of my work takes into consideration the notion of standard. The geometric forms, coming from the architecture or painting, are understood as normalised forms; the sculptures, for example, are produced from common forms, like the cube, or the parallelepiped and made from the use of basic materials like plaster, wood or metal. These sculptures are donned with standard rock n’ roll titles that have been reused and readapted time and time again.
I always begin from existing forms that have already undergone many manipulations and reformulations. I build with used and everyday forms. The standard that I then consider is that of the obvious realisation of the modernist utopia. To re-examine everything and to start something else.

I enjoy installing a subjective hierarchy. In my work, one can find a painting with a detail of a Corbusier façade next to a painting for which the model is, this time, anonymous and both that propose almost similar formal codes and colours. This disruption interests me, because it questions the notion of the original, of a model, and of the place that this model occupies today.

To come back to your question, on the overlapping of my tastes in music or films with my work, I can say that they are always present, like a backdrop, and that at times they can be at the birth of new pieces. The vision of Gordon Liu handling a three sticks nunchaku in The 36th Chambre of Shaolin, by Liu Chia-Liang, associated to that of Oscar Schlemmer’s Stick Dance, gave rise to the making of Nunchakube (ill. p 45). It is a wooden cube whose metallic tops are joined by chains; a real cubic flail, favourable to man’s death battle with geometry.

JF:

The stratification is therefore at the scale of a work as much as it is to that of an exhibition. Used as a method in the conception of your exhibitions, it is also present in your work. The stratification – mark of time – is also a method of appropriation. Links are created between heterogeneous elements that are henceforth indissociable. The stratification joins and produces a singular unit that goes beyond juxtaposition, alignment or covering up. The indexed elements are of different nature: anonymous, historical, artistic, and cultural… Finally, it is a method that produces meaning by the connection, as much as a phenomenon that willingly escapes you.

KB:

I would like to specify that the citations that I use are working aids for me. I manipulate and make use of these forms, these images and these colours with a lot of simplicity.
The works for VKS are a good example of this. Les Géants (ill. p 23/24/25), shown in the exhibition Gemütlichkeit, have very diverse potential readings: references to Matisse (to the cut out papers), to Picasso, to Cubist collage, to the decorative (tapestry), to fashion (clothes), to Futurism (these clothes are done after drawings by Giacomo Balla), a body with proportions that are not human, the circus, the monumental, the physicality of the materials, etc.
I value being able to evolve in my work without formal, stylistic or technical constraints. What interests me in the end is to construct, and not to reconstruct.

 
 


Un article de Caroline Ferreira, commissaire d'exposition et chargée de mission à l'AFAA.


 Les deux expositions organisées au CREDAC d’Ivry du 10 septembre au 30 octobre 2005 présentent le travail de deux jeunes artistes français, Karina Bisch et Vincent Lamouroux. Bien que produisant des formes radicalement différentes, on peut relever une méthode de travail similaire principalement à travers la recherche et l’application de références visuelles propres à leurs cultures respectives.

Karina Bisch
Geometric final fantasy
L’ensemble d’œuvres que présente Karina Bisch au CREDAC s’inscrit dans la continuité de ses travaux précédents, tout en introduisant des formes nouvelles dans son vocabulaire plastique et de plus grands formats dans sa peinture.
Les peintures de Karina Bisch ont pour principal objet la représentation de bâtiments ou plus précisément de façades qu’elle reproduit généralement à partir de carnets de croquis. Ses tableaux ou série de tableaux sont ainsi constitués de formes géométriques aux couleurs vives ou pastels soigneusement combinées. L’objet de la représentation – l’architecture – devient alors parfois difficilement identifiable, l’artiste choisissant délibérément de ne pas peindre de fond (comme pour un tableau traditionnellement figuratif) ou reproduisant uniquement de simples fragments, sans profondeur ni perspective. Ce phénomène est accentué par le choix du petit format de ses tableaux qui leur confère un caractère d’objet, quasi précieux.
La technique employée, une matière épaisse étalée sur la toile, à l’opposée de l’esthétique hard-edge, ajoute au caractère singulier de ces peintures et donne une physicalité particulière aux œuvres.
L’artiste a ensuite développé un travail de sculpture, qui peut être vu comme une mise en volume de sa peinture et la continuation de son exploration des formes géométriques.
Depuis ses débuts, elle porte une attention toute particulière à l’accrochage et l’agencement dans l’espace de ses œuvres qui prennent alors une nouvelle dimension à travers leur juxtaposition. L’oeuvre constituée de peintures et de sculptures peut alors être perçue comme un travail in situ qui prend en compte pleinement leur lieu de monstration pour explorer et mettre à jour d’autres facettes du travail.
Dans ce corpus d’œuvres, les différentes influences de l’artiste peuvent être relevées comme une sorte de base de données personnelle, constituée principalement à partir des mouvements d’avant-garde de l’histoire de l’art : Suprématisme, Constructivisme, Bauhaus, Art décoratif, qu’elle interprète librement.
Pour son exposition au CREDAC, l’artiste présente pour la première fois un ensemble de quatre peintures de grand format, réalisées selon la même méthode, d’après des croquis conçus au cours de promenades ou s’inspirant d’images relevées dans des livres lors de recherches. Ces croquis représentent des façades d’immeubles ou des fresques murales. Comme à son habitude, elle reproduit à l’échelle, des fragments de ces façades selon un jeu formel oscillant entre figuratif et abstrait, à un format qu’elle choisit librement (en l’occurrence ici de plus grands formats qu’à son habitude). On retrouve cette même technique permettant un jeu sur la matière colorée, épaisse et délibérément tremblotante qui contraste avec le rendu de formes architecturales géométriques et casse leur rigueur orthonormée. Ce jeu de texture et l’exécution faussement maladroite introduisent une notion originale et inhabituelle dans une peinture qui n’est plus froidement géométrique.
L’œuvre intitulée Les Géants représente quatre grandes figures humaines dessinées sur d’imposantes toiles de jute suspendues sur un grand paravent en bois. Ces figures sont habillées de collage de feutrine colorée, reproduisant des costumes futuristes dessinés par Giacomo Balla. Ces quatre grands personnages barrent la première salle de leur imposante présence, le paravent construit spécifiquement pour leur monstration conférant une spatialité à ces figures plates. Cette fois encore, l’on retrouve cette même dialectique entre figuratif et abstrait, la figure humaine d’une part, nouvelle dans le vocabulaire plastique de l’artiste et d’autre part, les costumes évoquant des tableaux abstraits ou autres collages cubistes.
L’artiste injecte constamment dans son travail, ses sources, référents de l’histoire de l’art moderne, mais aussi ses connaissances plus pragmatiques, chansons populaires, jeux vidéos (dont est tiré le titre de l’exposition), films d’actions, souvenirs de voyage et de villes visitées, etc.
Elle est ainsi partie d’une photographie de théière suprématiste en porcelaine dessinée par Malevitch et l’a reproduite en plâtre à grande échelle. Le point de départ de l’œuvre étant une photographie (qui par définition ne pouvait donc pas complètement la renseigner sur tous les angles de l’objet), elle a dû pour recréer l’objet en trois dimensions procéder à une extrapolation, soit inventer les parties ou les angles cachés sur la photo. En s’inspirant de cette réalisation historique de Malevitch pour les arts appliqués, en en modifiant l’échelle et la matière, et en le posant sur un socle au centre de l’espace, l’artiste lui confère pleinement un statut de sculpture, d’œuvre d’art, son origine « fonctionnelle » de théière n’étant plus immédiatement identifiable mais restant cependant comme « en suspens ».
Complétant cet ensemble d’oeuvres, un cube Nunchakube est accroché dans l’espace. L’objet a été réalisé avec des bâtons de bois, reliés entre eux par des chaînes qui rappellent immédiatement le nunchaku. L’artiste a librement tiré son inspiration des films d’actions asiatiques qu’elle affectionne particulièrement, et plus notamment de la scène récurrente de ces films de genre, soit la formation du novice à l’art des nunchakus, mise en scène dans une chorégraphie savante de maniement de ces dangereux bâtons de bois.
La fascination qu’exerce les arts martiaux pour l’artiste tient notamment au fait que pratiqués avec dextérité, ils deviennent alors une sorte de danse élégante et racée. C’est toute une réflexion sur cette forme de danse, qu’elle mixe de façon inopinée à la célèbre Danse des bâtons d’Oscar Schlemmer – autre référence, qui lui a inspiré cette structure confrontant le corps dans un jeu mi-menaçant, mi-ironique.
Ce cube en Nunchaku a impérativement besoin, pour retrouver sa forme de sculpture d’être tendu dans l’espace. Au sol et non suspendu, il reste un amas informe de bouts de bois en attente de reconstruction. Le visiteur peut alors « se mesurer » à cette structure géométrique au potentiel menaçant, réalisée à partir « d’armes » conçues pour l’art de la guerre.
C’est là toute la démarche de Karina Bisch, un jeu de références subtiles qui tient à l’ensemble de sa culture visuelle, et qu’elle réactive dans son art pour créer de nouvelles formes et questionner la notion d’original de l’œuvre d’art.


 
Artikel van Caroline Ferreira, curator en adjuct-hoofd van de afdeling voor visuele kunsten van de Association Française d’Action Artistique (AFAA)


De twee exposities die van 10 september tot 30 oktober 2005 te zien waren in het CREDAC (centrum voor hedendaagse kunst) van Ivry, tonen werk van twee jonge Franse kunstenaars, Karina Bisch en Vincent Lamouroux. Hoewel de plastische vormen die zij maken totaal verschillend zijn, kan men toch een overeenkomstige methode in hun werkwijze ontdekken, met name hun zoektocht naar en toepassing van visuele verwijzingen naar hun eigen cultuur.
Karina Bisch
Geometric final fantasy
Het werk dat Karina Bisch in het CREDAC toont, ligt in de lijn van haar eerdere werk met het verschil dat ze ditmaal nieuwe elementen in haar artistieke vocabulaire introduceert en dat haar schilderijen een groter formaat hebben.
Karina Bisch geeft op haar schilderijen voornamelijk gebouwen weer, of eerder gezegd gevels die zij vanuit haar schetsboek op het doek reproduceert. Haar schilderijen of serie schilderijen bestaan uit geometrische vormen in felle kleuren of zorgvuldig gecombineerde pasteltinten. Het onderwerp van de afbeelding -de architectuur- is soms moeilijk herkenbaar, omdat de kunstenares er opzettelijk voor kiest om, ofwel de achtergrond (wel aanwezig in een traditioneel figuratief schilderij) weg te laten, ofwel alleen eenvoudige fragmenten zonder diepte of perspectief af te beelden. Dit verschijnsel wordt benadrukt door de keuze voor schilderijen van klein formaat, waardoor deze het aspect van een kostbaar voorwerp krijgen. De gebruikte techniek, een substantieve materie aangebracht op doek, in contrast met de esthetische, non-figuratieve afbeeldingen versterkt het unieke karakter van deze schilderijen en geeft hen een eigen vorm.
Vervolgens heeft de kunstenares een ruimtelijke sculptuur ontwikkeld als om haar schilderijen een groter volume te geven en als voortzetting van haar verkenningstocht naar geometrische vormen.
Al vanaf het begin heeft zij een speciale aandacht geschonken aan het ophangen en de indeling in de ruimte van haar werken, die een nieuwe dimensie krijgen door een nauwgezette, bepaalde positionering ten opzichte van elkaar. De schilderijen en het ruimtelijk werk kunnen op deze manier waargenomen worden als ’werk in situ’ dat rekening houdt met de expositieruimte om andere facetten van haar werk te ontdekken en te belichten.
In het totale oeuvre geven de verschillende invloeden van de kunstenares een soort database van haar persoonlijke gegevens weer, hoofdzakelijk opgebouwd uit avant-gardestromingen als: Suprematisme, Constructivisme, Bauhaus en Art Deco. Deze stromingen vormen voor Bisch een inspiratiebron, waaruit zij vrijelijk put.
Op de tentoonstelling in het CREDAC toont de kunstenares voor het eerst een serie van vijf schilderijen van groot formaat, geschilderd naar schetsen die zij maakte tijdens wandelingen of naar aanleiding van afbeeldingen in boeken. De schetsen zijn weergaven van muurschilderingen of gevels van gebouwen. Zoals gewoonlijk reproduceert ze, op schaal, fragmenten van deze gevels volgens een spel, pendelend tussen abstract en figuratief, in afmetingen van haar eigen keuze (in het onderhavige geval groter dan voor haar gebruikelijk).
Deze zelfde werkwijze stelt haar in staat om te spelen met de kleurrijke materie, die zij dik en opzettelijk beverig aanbrengt, waardoor er een contrast ontstaat met de geometrische, bouwkundige vormweergave en een breuk met de traditionele striktheid. Met dit spel van textuur en de schijnbaar onhandige weergave ervan, introduceert Karina Bisch een origineel en verrassend element in een schilderij, dat hierdoor niet meer afstandelijk geometrisch is.

Het werk met de titel ’Les Géants’, stelt vier grote mensfiguren voor, geschilderd op grote juten doeken die zijn bevestigd aan een groot houten scherm,. De figuren zijn zodanig gekleed in een collage van fel gekleurde vilt dat het op futuristische kostuums lijken, ontworpen door Giacomo Balla. Met hun imponerende aanwezigheid, versperren deze vier figuren de weg in de eerste zaal. Door het scherm, dat speciaal ontworpen is, krijgen deze vlakke figuren een ruimtelijk karakter. Ook deze keer vindt men dezelfde dialectiek tussen figuratie en abstractie terug: enerzijds de menselijke figuur, nieuw in het artistieke vocabulaire van de kunstenares, anderzijds de kostuums die doen denken aan abstracte schilderijen of aan andere kubistische collages.
De kunstenares verwijst voortdurend in haar werk naar haar kennis van de moderne kunstgeschiedenis, maar ook naar haar meer pragmatische kennis zoals populaire liedjes, videospelletjes (waar de titel van de expositie naar verwijst), actiefilms, reisherinneringen, steden die ze bezocht heeft etc.
Zo heeft ze een foto van een door Malevitch getekende, suprematistische porseleinen theepot genomen als uitgangspunt en deze op grote schaal in het gips gereproduceerd. Daar ze van een foto is uitgegaan (en dus niet alle facetten van het onderwerp kende) heeft ze, om er een driedimensionaal object van te maken, de delen en hoeken die op de foto verborgen zijn zelf moeten invullen, hetzij door logische redenering, hetzij door fantasie.
Door deze historische uitvoering van Malevitch voor toegepaste kunst te gebruiken, door de schaal en het materiaal te veranderen en door het geheel op een sokkel in het midden van de ruimte te plaatsen, verleent de kunstenares het object de status van een sculptuur. Een kunstwerk waarvan de oorspronkelijke functionaliteit van de theepot niet direct herkenbaar, maar toch aanwezig is!
Haar werken worden vervolledigd met een Nunchakukubus die in de ruimte is opgehangen. Het object is gemaakt van houten stokken, die met elkaar verbonden zijn door kettingen, wat direct doet denken aan de nunchaku. De kunstenares heeft zich vrijelijk laten inspireren door Aziatische vechtfilms, waarvoor zij een voorliefde heeft, en in het bijzonder heeft zij geput uit de telkens in dit filmgenre terugkerende scène waarin de beginneling wordt ingewijd in de kunst van de nunchaku, met een ingewikkelde mise en scène van het hanteren van deze gevaarlijke houten stokken.
De fascinatie die Karina Bisch voor deze vechtsporten heeft, ligt in het feit dat deze, mits beoefend met handigheid, de vorm aannemen van een elegante en zuivere dans.
Het is zeker een beschouwing op deze dansvorm, die zij onverwachts vermengt met de beroemde ’Danse des bâtons’ van Oskar Schlemmer - andere referentie die haar heeft aangezet tot deze structuur die het lichaam confronteert in een spel dat half bedreigend, half ironisch is.
Deze nunchakukubus moet absoluut in de ruimte worden opgehangen om zijn vorm als sculptuur te krijgen. Op de grond, niet opgehangen, blijft het een vormeloze berg houtjes die wacht op reconstructie. De bezoeker kan zich dus "meten" met deze potentieel dreigende geometrische structuur, gemaakt uit "wapens" bestemd voor de vechtkunst.

Dit is de algemene benaderingswijze van Karina Bisch. Een spel van subtiele verwijzingen naar haar visuele cultuur, die zij via haar werk nieuw leven inblaast om nieuwe vormen te creëren en de notie van originaliteit van kunst te onderzoeken.